Les actes de la 20e école d’été de didactique des mathématiques contiennent un texte d’Yves Chevallard « La question curriculaire et la TAD » (pages 93 à 111). Yves Chevallard y retravaille et présente le propos de sa conférence donnée pendant l’école d’été.

Il reprend un exemple donné en fin de conférence et qui avait choqué pendant l’école d’été : il partait de propos de Caroline de Haas pour les qualifier, démonstration mathématique à l’appui, d’« hypersexisme activiste statistiquement délirant » (ces qualificatifs ne sont pas repris dans le texte des actes). Dans la logique du texte l’exemple était choisi pour appuyer l’idée que les « curriculums personnellement vécus » (CPV) peuvent être très éloignés des « curriculums institutionnellement offerts » (CIO).

Dans son texte Yves Chevallard présente ses choix de modélisation et ses calculs comme prouvant mathématiquement que les propos de Caroline de Haas sont faux (et de loin !). Pendant l’école d’été j’avais profité de la possibilité de poser des questions par écrit pour souligner le fait que les calculs d’Yves Chevallard étaient tendancieux et ne prouvaient en tout cas pas que les propos incriminés étaient problématiques.

Les actes venant de sortir et reprenant ces propos d’Yves Chevallard à peine corrigés, je me permets de reproduire ci-dessous le texte que j’avais alors écrit. Je me permets également ici de m’interroger sur le processus de relecture de ce texte (les relecteurs et relectrices ayant eu pour la plupart accès aux critiques ci-dessous).

J’ajoute enfin que :

  • Au risque d’être sordide (mais le texte l’est) on peut entrer dans les détails. Personnellement je doute qu’une réponse probabiliste soit éclairante sur cette question. Et si c’était le cas il faudrait qu’Yves Chevallard définisse précisément quel homme est un « agresseur potentiel de femme » et quel homme ne l’est pas, qu’il précise pourquoi la probabilité qu’une femme se fasse agresser lorsqu’elle « croise » un « agresseur potentiel de femme » est fixée à 10 %, etc. etc.
  • On retrouve cet exemple tout aussi maladroitement traité par Yves Chevallard dans un article de la revue Éducation & Didactique (vol. 14).

Il suffit de passer 5 minutes sur internet (https://colibris.link/HcamN) pour voir que cette interview de Caroline de Haas (et précisément le passage repris par Yves Chevallard) a déclenché à l’époque une tempête médiatique : insultes et menaces de mort à la clef, retrait de tous les réseaux sociaux de Caroline de Haas pendant un temps, montée aux créneaux de tous les médias (notamment de droite), etc. Yves Chevallard n’a pas pris n’importe quel exemple dans n’importe quelle interview, il prend position dans un débat public tendu, il le fait en tant que scientifique dans des actes de colloque. La posture demanderait une grande rigueur scientifique. Ce n’est pas le cas ici. C’est indigne.

Christophe Hache

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Ci-dessous un copié-collé d’un extrait des questions écrites lors de la 20e école d’été de didactique des mathématiques (octobre 2019, Autrans).
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Christophe Hache, remarques sur la fin du cours de Yves :

A : « une femme sur deux a été victime de viol, d’agression ou de harcèlement »

B : « un homme sur deux ou sur trois est un agresseur »

Caroline de Haas affirme que « A donc B » et précise, à la demande du journaliste, que le « donc » est « logique ».

Que prouve mathématiquement Yves à ce propos dans son exposé ? Qu’il suffit qu’il y ait 0,07 % d’hommes qui soient « agresseurs potentiels » pour que la probabilité qu’une femme en croise un soit de 50 %, en supposant qu’elle croise 1000 hommes [NB : dans les actes Yves Chevallard a modifié sa modélisation : après ce premier calcul il ajoute une probabilité, de 10%, pour une femme d’être agressée quand elle « croise » un « agresseur potentiel de femme », il arrive alors à un taux de 0,7% au lieu de 0,07%].

Il conclut : que Caroline de Haas mène un raisonnement mathématiquement faux, ou affirme à tort que son raisonnement est mathématique, que la conclusion de Caroline de Haas est fausse (il parle d’« hypersexisme activiste statistiquement délirant »), que c’est un échec de l’éducation mathématique (et un problème curriculaire).

Ils ne parlent pourtant pas de la même chose : « agresseur » / « potentiel agresseur » ? « être victime de viol, d’agression ou de harcèlement » / « croiser un agresseur potentiel » ? Que compare donc Yves quand il dit que « la proportion d’un tiers avancée par Caroline de Haas est plus de 476 fois supérieure [à 0,0007] » ?

Si Caroline de Haas se trompe sur sa capacité à étayer mathématiquement ses affirmations, peut-on ainsi remettre en cause l’ensemble de ses conclusions ? Sans doute pas à l’aide du calcul de probabilité proposé en tout cas.

On voit par ailleurs que ce que laisse entendre Yves est peu réaliste : est-il possible que 0,07 % des hommes français, environ 18 000 personnes (il y a 26,2 millions d’hommes de plus de 15 ans en France, INSEE, estimations de population, données provisoires arrêtées à fin 2018), agressent un tiers de la population féminine française, 11,5 millions de personnes (pour reprendre la donnée de Caroline de Haas sur laquelle se base aussi Yves dans sa critique, même source que la précédente pour ce qui concerne le nombre de femmes en France) ? Chaque agresseur serait en moyenne responsable de plus de 600 agressions !

On voit aussi facilement par ailleurs que l’ordre de grandeur des données de Caroline de Haas est vraisemblable. Pour s’en tenir aux violences conjugales (mais elles représentent tout de même 47 % des agressions sexuelles dont sont victimes les femmes en France, Source : 2012-2018 – INSEE-ONDRP) : 22 % des Européennes ont subi des violences physiques ou sexuelles de leur partenaire (Source : Parlement européen – Violence à l’égard des femmes, 7 mars 2014).

Même si son appui sur les mathématiques est incorrect, l’ordre de grandeur de la proportion annoncée en conclusion par Caroline de Haas est sans doute proche de la vérité. Ce que dit Caroline de Haas ne semble donc pas si délirant : « Nous n’avons pas affaire à un petit groupe de criminels qui se cache dans un coin et qui viole toutes les femmes de France ! Si les victimes sont dans votre famille, dans votre entreprise, dans les partis politiques ou au gouvernement, eh bien, les agresseurs sont exactement aux mêmes endroits. Logique infaillible ».

Pour préciser un autre point avancé par Yves dans son exposé [NB : ce point n’a pas été repris dans les actes] : il existe aussi des agressions sexuelles de femmes par des femmes. Notons cependant que toutes infractions sexistes confondues, les personnes mises en cause pour des actes sexistes sont principalement des hommes. En 2016 et en 2017, le pourcentage est stable : 91 % des mis en cause sont des hommes (Source : SMSI, Bases des Victimes et des Mis en cause, validité décembre 2018).