Lettre à Monsieur J.M. Blanquer, Ministre de l’Éducation nationale

De : Mme Isabelle BLOCH
Professeure émérite, Université de Bordeaux
Laboratoire E3D (Epistémologie et Didactique des disciplines)
Présidente de l’Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques (ARDM)

Paris, le 12 février 2018

Monsieur le Ministre,

Tout d’abord, en tant que présidente de l’ARDM, je tiens à dire que nous nous réjouissons de la nomination d’un Conseil Supérieur de l’Education Nationale, comme instance de concertation devant comporter des spécialistes du système scolaire et des disciplines.

Cependant, avec mes collègues nous nous étonnons de la composition récemment annoncée de ce CSEN. En effet, dans ce conseil les chercheurs en sciences cognitives sont sur-représentés, avec aussi des philosophes, un mathématicien et un informaticien… et nous observons un silence assourdissant du côté des spécialistes de la didactique et des contenus enseignés dans le système scolaire.

Il existe, en France, dans tous les pays européens, aux Etats-Unis, en Australie, en Chine, en Amérique du sud, au Maghreb et en Afrique, au Liban, en Turquie… des domaines de recherche qui ont pour nom didactiques des disciplines, qui font preuve d’une grande vitalité, et qui ont pour objet les investigations sur l’institution scolaire et les pratiques d’enseignement des contenus disciplinaires . Dans le cas des chercheur.e.s de l’ARDM, les recherches portent sur l’enseignement des mathématiques à tous les niveaux de la scolarité, du primaire à l’université ; ces recherches ont produit un corpus considérable de données sur les méthodes d’enseignement, les apprentissages des élèves, les pratiques professorales (et la formation des enseignants) et les situations qui réussissent à favoriser ou non ces apprentissages, notamment. Les chercheur.e.s en didactique des mathématiques sont des spécialistes du système scolaire, mais ont aussi un regard réflexif sur leur discipline ; ils appartiennent à la 26e section du CNU, soit celle des mathématiques appliquées, ou à la 70e en Sciences de l’Education. Signalons que les didactiques du français, des langues, de la physique, de la biologie… sont tout aussi reconnues et travaillent sur le même type de problématiques pour leurs disciplines respectives : cf. par exemple le laboratoire Lab-E3D à l’université de Bordeaux ou le LDAR (laboratoire de didactique André Revuz) à Paris, à l’Institut Français de l’Education à Lyon, au laboratoire IMAG de Montpellier (Institut Montpelliérain Alexander Grothendieck).

Depuis plus de quarante ans ces travaux sont reconnus notamment par les nombreuses publications internationales diffusées dans des revues réputées ; des expérimentations concluantes ont aussi été conduites dans des contextes extrêmement variés, allant de l’enseignement spécialisé ou ‘ordinaire’ à tous les niveaux du primaire à l’Université, les dispositifs particuliers en lien avec la culture scientifique, etc. Ces expérimentations portent non seulement sur les contenus enseignés, mais aussi sur les dispositifs permettant de mettre les élèves au travail de façon constructive et en les motivant : dans le domaine de la didactique, les chercheur.e.s ont produit des résultats applicables et ayant fait la preuve de leur efficacité.

Cet état des recherches fait des didacticiens des personnes extrêmement compétentes pour travailler sur les dispositifs d’enseignement. C’est pourquoi nous souhaitons que le syst-me scolaire puisse bénéficier des résultats des recherches des personnes réellement focalisées sur les contenus mathématiques et les modalités d’enseignement, et qui possèdent une expertise avérée de ce qui est enseigné et appris dans les classes.

Les chercheur.e.s en didactique sont aussi très impliqué.e.s dans la formation des professeurs ; or cette formation a souffert des transformations imposées par les gouvernements précédents, et elle n’est pas revenue à un niveau satisfaisant, du point de vue des contenus comme de la durée, que ce soit pour la formation initiale ou continue. Sur ce point aussi, une réflexion menée avec des didacticien.ne.s de diverses disciplines est indispensable pour enfin aboutir à une formation professionnelle raisonnée et efficace qui permette ensuite aux enseignants d’exercer leur métier avec compétence et bienveillance envers les élèves.

Ce sont tous ces éléments qui m’amènent à vous interpeller sur l’éviction des chercheur.e.s en didactique dans les instances de réflexion comme le CSEN. Nous souhaitons pouvoir porter notre expertise dans ce conseil, et je vous prie instamment, Monsieur le Ministre, de nous permettre de désigner un ou plusieurs chercheur.e.s en didactique des disciplines qui puisse participer aux travaux du conseil.

Dans l’espoir que ma démarche reçoive un accueil favorable, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, mes salutations citoyennes et respectueuses.