1975 : épistémologie expérimentale vs Didactique 2016
A priori, il y a autant de « façons » de faire des mathématiques que de théorèmes différents acceptés comme « résultats » prêts à être utilisés dans de nouvelles démonstrations, puisque chaque « nouveau » théorème nécessite une démonstration qui lui est propre.
Ces démonstrations peuvent être plus ou moins longues ou originales… Ces théorèmes sont organisés ou réorganisés suivant les besoins des définitions de nouveaux objets ou ceux des démonstrations de nouveaux théorèmes. Il y a certes des réorganisations de théorèmes, des déclinaisons selon des ressemblances… Et Il y a autant d’histoires de la construction et de la reconstruction des mathématiques qu’il y a de mathématiciens occupés à établir un de ces théorèmes nouveaux. Chacune de ces voies inspire à ses auteurs des perspectives et des justifications plus ou moins originales qui font autant de points de vue métamathématiques différents.
Il est étonnant de voir combien ce foisonnement de genèses et d’histoires particulières inspire vite des opinions convergentes, et même une quasi unanimité, au sujet de la façon de faire et d’apprendre les mathématiques établies par d’autres. Il en résulte que c’est la façon de communiquer les résultats qui devient le moule, le modèle de la construction des mathématiques qu’il porte. Toutes les péripéties, les errements, les erreurs même – surtout – qui se sont produites au cours de la recherche s’évaporent.
La reformulation, la réorganisation permanente des idées dissimule la genèse initiale des connaissances. La démonstration de mille pages crée une vague de reprises et de réformes qui lui reviennent et la réduisent à deux cents puis a cinquante pages… en un mouvement qui reprend et détruit et féconde la mémoire… A ce jeu, l’Histoire des Mathématiques s’essouffle et l’Epistémologie, la science de la genèse des concepts, s’égare sans parvenir à délivrer à la Didactique des Mathématiques les modèles essentiels d’une prise de connaissance spécifique du savoir visé.
Alors le texte des Mathématiques est contraint à devenir à la fois l’origine, l’expression et la conclusion de la pensée qu’il veut transmettre, une pensée sans genèse.
Les béotiens peuvent alors venir visiter le temple, en parler, s’en éblouir et le vanter. Ils peuvent le découper pour en vendre des copies à de jeunes esclaves chargés de l’apprendre et de le reproduire, sous la menace.
Mais comment redonner vie à ces momies ?
C’était le projet fondamental, la raison d’être de la formation que nous voulions proposer dans notre DEA nouvellement créé.
En 1975 au cours du colloque organisé par l’IREM de Bordeaux, Jean Louis Ovaert avait ainsi conclu la présentation que nous y avions faite de notre projets de développer une science expérimentale de l’activité didactique en mathématiques: » J’appellerais ce que vous faites « épistémologie expérimentale des mathématiques ».
C’était une bonne dénomination pour notre travail sur les situations et les curriculums. Toutefois, nous l’avons rejetée: d’abord pour nous rapprocher des professeurs de mathématiques à qui nos IREM se consacraient et à qui notre « Science » devait s’adresser finalement, ensuite pour de ne pas trop nous démarquer des autres DEA en cours de création dans les IREMs. La « Didactique des Mathématiques » serait pour les professeurs ce qu’est « la Science Médicale » pour les médecins, et l’épistémologie expérimentale des mathématiques serait sa Biologie. Nous avons rejeté « Méthodologie » qui existait déjà et aussi « Didactologie », logique mais orienté vers l’intelligence artificielle, et à cause de leur résonance normative commune. Nous préférions « Observation» qui à l’époque semblait aller de soi.