Un ami me demandait un jour 2012
Un ami me demandait un jour :
-        Pourquoi a-t-on créé une « médaille Félix Klein » et non pas un prix comme « le Prix Nobel ».
-       Précisément, je ne sais pas. Ta question est flatteuse… Je n’aurais jamais pu la poser.  Demande-t-on le prix des cadeaux qu’on reçoit ? Je peux donc seulement risquer quelques hypothèses.
Je crois d’abord que c’est parce qu’il existait déjà un « prix Félix Klein », en Mathématiques Appliquées. Cette raison serait suffisante : il faut dire « Médaille Félix Klein de l’ICMI ».
Les conceptions de Félix Klein en matière de formation mathématique des ingénieurs, et des chercheurs, dans les universités associées aux entreprises, ainsi que les conseils qu’il en tirait à l’intention de l’Empereur Guillaume II, ont été une des causes de la remarquable réussite industrielle de l’Allemagne au 20ième siècle dans les domaines de la chimie, de la métallurgie, de l’électricité, etc. L’usage déplorable qu’ont fait la finance et la politique de ces avantages n’enlève rien à la valeur de l’œuvre didactique de Félix Klein. D’ailleurs, il est indispensable  qu’un prix encourage, aide et récompense les chercheurs en Mathématiques Appliquées.
Je crois ensuite que c’est parce le terme « prix » évoque l’attribution d’une récompense financière. Le Prix Abel de Mathématiques avoisine les 800 000 euros. Je ne veux pas discuter ici le rôle de l’argent dans les recherches en Mathématiques, de nombreux savants comme Grigori Perelman récemment, l’ont fait et bien fait à mon très humble avis.
Mais il me semble a fortiori que si les recherches en éducation mathématique méritent d’être encouragées, elles ne devraient pas être récompensées par de l’argent.
D’abord l’image et l’influence en serait désastreuse auprès même de la population visée, celle des élèves, des enseignants et aussi celle des chercheurs. Chacun peut comprendre cela.
Ensuite, et pour ce qui me concerne, j’ai déjà été payé pour le travail que j’ai fait. Je n’aurais pas fait mieux pour plus d’argent ou pour un meilleur statut social. Je l’aurais certainement fait plus difficilement et plus mal.
J’ai eu la chance de pouvoir réaliser des instruments de recherche incroyablement complexes, coûteux et uniques en m’appuyant sur le désir, que de nombreuses personnes plus puissantes ou plus savantes que moi avaient, de faire de leur mieux pour améliorer l’enseignement des mathématiques par les connaissances scientifiques que nous pourrions obtenir.
Ces personnes ont pu mobiliser ces moyens parce que la nation les mettait entre leurs mains, afin qu’ils dĂ©cident de leur meilleur emploi. La plupart – moi compris – n’espĂ©raient en tirer et n’en ont tirĂ© aucun avantage matĂ©riel. L’argent supplĂ©mentaire n’aurait servi qu’à se soustraire Ă des obligations indispensables. Il aurait Ă©tĂ© pour moi une gĂŞne, un moyen inutile et mĂŞme totalement contre-productif : il Ă©tait nĂ©cessaire de n’obtenir que ce qui Ă©tait continument convainquant et possible. L’argent dĂ©value et trahit ce qui ne doit ĂŞtre accordĂ© que par l’estime.
Je préfère donc que l’argent soit investi par la collectivité dans l’aide matérielle à des recherches qu’elle conçoit comme possibles et nécessaires. Et je serais terriblement malheureux si on me demandait de le répartir moi-même et seul !
Chacun se fait un autel des vertus qu’il croit devoir manifester. C’est déjà une faiblesse que d’y substituer des valeurs. Même « l’honneur de l’esprit humain » cher à Dieudonné me laisserait assez froid si j’avais quelque prétention à ce sujet.
L’éducation est au fond une violence, certes nécessaire et légitime aussi bien pour l’enfant que pour son environnement. Je crois qu’il faut consacrer nos soins à comprendre ce phénomène essentiel et à faire qu’il remplisse son rôle avec le moins de dégâts possible. Je crois que les mathématiques sont une matrice nécessaire du projet éducatif, matériellement et symboliquement, et un moyen indirect de contribuer au développement futur de cette science et de la société.
Que ceux qui ne sont pas d’accord avec cette position me pardonnent et ne craignent rien, je ne fais plus profession d’aucune foi depuis longtemps.
GB Juillet 2012