Dossier n°8. Premiers pas de la Didactique 1970 2. Les avatars du diagramme de Venn
Dossier n° 8
Les premiers pas de la Didactique
2. Les avatars du diagramme de Venn
Présentation des dossiers 7 et 8
Les dossiers 7 et 8 visent à rappeler quelques uns des problèmes soulevés par l’utilisation du concept d’« ensemble », comme moyen d’expression, comme moyen d’étude (de la logique par exemple) et comme objet d’enseignement à l’école primaire et au collège.
Ils rassemblent donc quelques documents de travail typiques, choisis parmi ceux diffusés par l’IREM de Bordeaux entre 1970 et 1974 à l’intention des enseignants du primaire et de leurs formateurs. Chacun présente l’exposé d’une question de mathématique et conjugue une partie sous une forme quasi mathématique, accompagné de remarques destinées plutôt aux formateurs qu’aux enseignants, et le plus souvent écrites dans un langage plus ou moins imagé bien que destiné à des lecteurs adultes et évoquant éventuellement des activités d’élèves. L’usage de ce vocabulaire par des élèves (de niveau plus ou moins détermine) est envisagé à propos de situations évoquées et discutées de façon sporadique mais spécifique. ..
Des notions de linguistique, de logique, de psychologie, de pédagogie ou d’autres plus ou moins connues de l’auditoire, surgissent à l’occasion d’une façon qui semble incongrue auprès des uns ou des autres. La complexité de la cible rend ces textes illisibles pour la plupart des auditoires (ils n’ont pas été publiés et pourtant ils ont été très répandus.
Nous avons choisi ces textes pour faire voir l’évolution rapide des conceptions relatives à l’enseignement de ces questions sous l’effet des recherches, des observations et des expérimentations.
Le dossier 8 est plus précisément consacré à montrer que dès sa création l’IREM a mis à l’étude l’emploi des diagrammes (de type Venn ou autres). Il en a signalé les difficultés et les dangers. Puis il les a proscrits comme modèles explicites de la logique et comme objet d’enseignement. Les inconvénients ne peuvent pas être écartés si ces diagrammes sont considérés comme l’objet d’un enseignement classique (avec description dénomination, explications etc.) car le modèle est faux et conduit alors à des phénomènes dénommés quelques années plus tard « glissement méta ».
L’utilisation des diagrammes n’est possible que comme moyen non verbal (comme connaissance) dans des situations d’action. Cette possibilité est démontrée dans le premier dossier (voir P(E), où on voit l’étude d’une situation permettant à des élèves de CM2 de construire et d’utiliser le formalisme de l’algèbre de Boole.
L’évolution a été rapide tous ces textes ont été publiés en 1970.
Composition du dossier n° 8
Le dossier 8 est centré sur un objet précis : l’utilisation du diagramme de Venn. A mesure que les souvenirs des faits s’estompaient, la contre-réforme, après les invectives et les affirmations péremptoires, utilisait le fameux « tricercle » emblématique pour montrer doctement aux néophytes, la prétendue sottise des réformateurs. Il s’agit ici de montrer … la vérité.
a) Du diagramme de Venn aux courbes de Peano article de Lucienne Félix 1970 et sa version Anglaise (sous l’onglet Lucienne Félix)
b) Organigrammes et classifications [EEM n°6 1970 et 30Leçons 1970 (29 p)]
c) Logique fonctionnelle [FM1970 Ch 17 (23 p)]
d) Relations et opérations dans l’ensemble des parties d’un ensemble [FM 1970 ch 16 (11p)]
Il est lui aussi accompagné de commentaires
a) Les étapes de la critique du « tricercle » de Venn
Le lecteur pourra vérifier que dès la création de l’IREM nous avons informé les professeurs sur les insuffisances et les limites de l’usage de cette métaphore, nous avons cherché à la combattre par divers procédés avant d’en recommander l’abandon dès la fin de 1970. Il pourra vérifier les six étapes qui ont amené les didacticiens à étudier les effets de ce genre de phénomènes (glissement et obstacles)
L’usage de métaphores et de mauvais modèles n’est pas rare en mathématique mais il est tempéré par l’usage et par la doxa sinon par le logos. L’erreur des responsables et des enseignants a été de traiter comme du savoir mathématique un instrument qui devait rester une connaissance. Malheureusement l’usage des connaissances est précocement étouffé par une dérive bureaucratique : l’enseignement strictement limité aux savoirs, exigé par l’épistémologie primitive et quasi religieuse d’une société qui n’a toujours pas de science de l’instruction.
Les documents du dossier « Avatars du diagramme de Venn »
Document a Du diagramme de Venn aux courbes de Peano, article de Lucienne Félix (1970) et sa version Anglaise (sous l’onglet Lucienne Félix)
From Venn Diagrams to Peano Curves Des diagrammes de Venn aux courbes de Peano Lucienne Félix
publié en Anglais dans » Mathematics Teaching, » the Bulletin of the Association of Teachers of Mathematics No. 50, Spring, 1970.
et en Français, dans les Cahiers de l’enseignement élémentaire de l’IREM de Bordeaux n° 2 (1970)
Résumé .
Lucienne Félix commence par définir avec précision ce qu’elle appelle un Diagramme de Venn. Elle se réfère à la logique et précise qu’elle distinguera des « ensembles fondamentaux et les ensembles engendrés par ces ensembles fondamentaux. Elle précise les conditions que doit satisfaire une représentation pour n ensembles fondamentaux. Il s’agit ensuite de déterminer une méthode qui permette de construire un diagramme de Venn comportant les régions déterminées par n+1 ensembles fondamentaux. Elle construit pour cela une ligne qui coupe en deux chacune des régions déterminées par les n ensembles générateurs. Elle construit une numérotation binaire des parties construites qui permettent de démontrer que cette ligne peut être fermée et qu’elle satisfait les conditions pour représenter les 2n+1 parties engendrées par n+1 générateurs. La disposition obtenue est celle d’un « diagramme en pavage» qui envahit le plan, ou qui au contraire fragmente une figure en pavés semblables de plus en plus petits (rectangles, triangles…).
Lucienne Félix s’intéresse alors au même problème : partager en deux toutes les parties d’une figure de rang n par une ligne fermée, mais cette ligne ne génère pas le pavage suivant (dont le nombre des régions est 3n+1). Cette ligne est une courbe de Peano qui, à la limite, atteint tous les points intérieurs de la figure de base.
Dans un dernier paragraphe Lucienne Félix met en perspective les contributions de Peano, de Hilbert et de Cantor à ce sujet.
Commentaire
Cet article est republié dans le dossier sur « les ensembles à l’école primaire et les avatars du diagramme de Venn ». Il montre sur quelles bases mathématiques reposaient les réflexions pédagogiques du genre de celles qui font l’objet de dossier.
Ce texte n’était pas lisible par des instituteurs et il n’apportait guère aux professeurs de mathématiques que l’occasion de « faire un peu de mathématiques étranges», mais les indications pédagogiques qu’ils pouvaient en tirer se bornaient à voir le genre de dessins qui permettaient de représenter des ensembles, cependant il ne disait pas à quelle occasion – à moins de prendre le texte lui-même comme objet d’enseignement… !-.
Les textes destinés à la formation des professeurs que nous présentons aussi dans ce dossier auraient pu être lus – peut-être – par des instituteurs, mais ils ne l’étaient pas parce que ces derniers ne comprenaient pas ce qu’ils pouvaient en tirer pour leur travail, dans leur classe.
Nos propositions de leçons et d’exercices, eux, pouvaient être lus et compris par les professeurs. Mais les conditions d’usage et les contresens à éviter ne pouvaient pas être inférés de ces seuls exercices, même avec une bonne connaissance du discours mathématique possible, car il fallait tenir compte d’un imbroglio de conditions linguistiques psychologiques et culturelles. Et les raisons pour lesquelles la compréhension naïve qui découlait de toutes ces impossibilités, de tous ces malentendus et de toutes ces incompréhensions ne permettaient pas de diriger de façon convenable leur apprentissage par les élèves.
Lire ou télécharger le document from Venn Diagrams to Peano Curves
Lire ou télécharger le document Du diagramme de Venn aux Courbes de Peano
Document b
Organigrammes et classifications
Ce texte de 29 pages figure sous ma signature dans deux publications internes de l’IREM:
Enseignement Elémentaire des Mathématiques n° 6 (avril1970) et (IREM de Bordeaux 1970)
Documents de travail pour la formation des maîtres : 30 leçons du CP au CM (IREM de Bordeaux 1970) (ouvrage collectif)
Résumé
Le texte est destiné aux formateurs et aux maîtres d’application. Il commence par une fiche de leçon pour CE: Parmi vingt poupées (dessinées) les élèves doivent trouver deux poupées portant exactement les mêmes vêtements. But, organisation de la classe, stratégies des élèves, questions de langage.
Le commentaire est une étude des différents types de diagrammes : objets mathématiques signifiés, éléments de sémiologie graphique,
Suivi d’une étude des possibilités de représentation graphiques des objets mathématiques fondamentaux : éléments, couples, relations, appartenance, diagrammes, arbres, triplets,
Etude des métagraphes de relations : représentations où les couples sont représentés par des points… (cartésien, polaire, matricielle), fonctions de deux variables.
La conclusion signale que ces graphes sont destinés à être utilisés de façon opportuniste et fluide, dans l’argumentation, plutôt que comme des objets formels.
Commentaire
Pour comprendre la place que tient cette étude dans les activités de l’époque, il faut la replacer par rapport au projet d’ensemble de la constitution du COREM.
Il s’agit d’appuyer ou sinon d’encadrer l’observation et la réalisation de situations d’enseignement par les connaissances scientifiques de l’époque. Les questions de sémiologie sont au cœur du projet de mise en place chez les élèves d’une connaissance de la logique permettant d’appuyer l’enseignement précoce des mathématiques. Les diagrammes sont supposés permettre d’économiser les lourdes analyses en langue naturelle et le succès de certaines situations d’enseignement « non verbales » laissent espérer que l’on puisse directement enseigner les structures fondamentales indépendamment du langage (ce qui ne veut pas dire sans parler ! les élèves peuvent utiliser les mots courants, la situation doit faire écarter les interprétations et les acceptions parasites.
Ce projet va réussir « en laboratoire » au COREM, mais il va échouer dans l’enseignement réel parce que, d’une part, les contraintes sur les situations sont ignorées (ou échappent à cause d’un manque de consistance théorique) et que d’autre part, les pratiques d’enseignement fondent traditionnellement tout sur le langage et sur l’enseignement des textes.
Lire ou télécharger le document organigrammes et classifications_1970
Document c :
Logique fonctionnelle
Ce texte de 23 pages constitue le chapitre 17 de l’ouvrage : Guy Brousseau « Mathématiques pour l’enseignement élémentaire » Formation des maîtres, tome 1 IREM de Bordeaux 1970-71 (FM1970ch17)
Résumé
Le chapitre précédent (16) est un exposé axiomatique et formel de la théorie des ensembles. Il conclut les chapitres où sont tentées des introductions à la fois familières, didactiques, et graphiques illustrées de schémas de leçons. Le chapitre 17 l’utilise pour proposer un vocabulaire approprié, non plus aux propositions, mais aux « fonctions propositionnelles » (prédicats). Les termes de logique et de théorie des ensembles sont mis en correspondance conjonction avec intersection, disjonction avec réunion, implication et inclusion, négation et complémentaire… Les opérations logiques sont assorties de définitions, de conditions satisfaites, de références et de corrections du vocabulaire usuel, de nuances. La première partie s’achève par l’explication des lois de Morgan.
La deuxième partie étudie les représentations graphiques des parties d’un ensemble. Elle comprend une présentation des graphes « de Venn » ou de Caroll, accompagnée de propositions « pédagogiques » de certains auteurs célèbres (G. Papy, W. Servais,…) qui, pressés par leur éditeurs, tentaient d’échapper aux contradictions inhérentes à la représentation des ensembles par des régions du plan. Plutôt pour souligner que pour réparer une défaillance irrémédiable de cette représentation, je propose sans conviction d’introduire une flèche de circulation le long des frontières des régions pour en distinguer l’intérieur de l’extérieur (cette idée n’était probablement pas originale, elle était en tout cas inutilisable). Le texte se termine par quelques remarques et idées, et quelques erreurs.
Commentaire
Le lecteur peut être intéressé à relever la maladresse avec laquelle deux erreurs commises par les élèves sont rapportées et soi-disant expliquées. Eviter de confondre l’inclusion et l’appartenance n’est pas si simple que les trois lignes le laissent supposer. C’est tout le problème que Russell a signalé avec son paradoxe du barbier et qu’il a dû lever avec son axiome de l’échelle des types. Aujourd’hui, il existe des théories ou un ensemble peut être élément de lui-même… La confusion a été étudiée par François Pluvinage de l’IREM de Strasbourg. Les élèves répondent correctement à un type particulier de questions du genre « complétez avec le signe convenable » une formule du genre : c … {a, d, c, i} ou {a, b} …{c, b, e, a}. Une observation plus attentive montre qu’ils évitent des erreurs dans ce genre précis d’exercice en construisant une « sous compréhension » : L’élève écrit « Ì » ou « Î » suivant qu’il y a des accolades des deux côté du signe ou non. Ensuite il raye le signe Ïou Ë si ce qui est à gauche du pointillé ne figure pas à droite. Cette forme de connaissance n’est évidemment d’aucun secours dans des représentations différentes.
La deuxième erreur est abordée de façon tout aussi naïve « les élèves remontent les implications ». Il apparaîtra que les élèves ne remontent pas également (au hasard) toutes les implications, et que par conséquent, toute explication générale qui se limiterait seulement au champ de la logique serait disqualifiée. Il reste que le langage joue probablement un rôle important lui aussi, comme dans les confusions entre une classe d’équivalence et ses éléments (fractions et rationnels par ex.)
Lire ou télécharger le document logique fonctionnelle FM1971
Document d: Relations et opérations dans l’ensemble des parties d’un ensemble [FM 1970 ch 16 (11p)]
Ce texte est un projet d’exposé axiomatique et formalisé. Il était destiné aux formateurs pour structurer les théorèmes avec lesquels ils pouvaient graduer les exercices proposés aux instituteurs. Le projet était de commencer à vérifier ces théorèmes en les illustrant avec les diagrammes de Venn, puis de les établir par le calcul et la démonstration formelle. La présentation de ce texte dans la brochure originale de 1970 est déjà très défectueuses : plusieurs textes semblent avoir été mal coupés et collés!! Il lui était joint un tableau permettant de comparer les propriétés de la structure mathématique et celle de sa représentation par des diagrammes pour y relever les contradictions. Ce tableau n’a pas été reproduit dans la brochure de 1970. Je l’ai reconstitué d’après des notes de l’époque.
Pour lire le document de travail « Relations et opérations dans P(E) 71 » s’adresser à l’auteur . Pour lire le document de travail « diagramme de Venn Résumé des propriétés« s’adresser à l’auteur
Notes sur le dossier « Avatars du diagramme de Venn » 2011
La Logique, les ensembles et les représentations iconiques ou formelles à l’école
Cette introduction n’était pas aussi facile que le laissait croire l’optimisme des éditeurs et des promoteurs de la réforme. Les bases de l’usage traditionnel du langage mathématique n’étaient pas plus solides que les fondements logiques de la théorie naïve des ensembles. Les objets étaient joyeusement confondus avec leur dénomination, les ensembles avec les éléments, un élément générique avec un élément. Le métalangage ou même le discours mathématique était confondu avec le langage lui-même et ses objets… Des équivalences se formulaient par égalités et vice versa au point que le signe égal désignait une relation généralement non symétrique etc. Les raisonnements logiques se noyaient dans un océan de moyens rhétoriques incertains ou franchement douteux…
Mais nous ne connaissions pas les pièges cachés sous le manteau respectable des pratiques traditionnelles. Nous allions découvrir que les abus (anciens ou nouveaux) qui marchent entre élèves complaisants et maîtres subtils s’effondraient entre les mains excessivement pointilleuses ou autoritaires des partenaires consciencieux.
La didactique est née des leçons que nous avons tirées de ces affrontements. L’enseignement des mathématiques suivant les anciennes méthodes a donné les meilleurs de ses résultats dans une configuration sociale et culturelle bien précise. Il ne sera pas amélioré par des incantations magiques ni par des brutalités. Le prix à payer pour modifier les conceptions épistémologiques, psychologiques, et surtout didactiques et mathématiques des enseignants est trop lourd pour une société qui n’est même pas capable d’achever la réforme d’une numération orale déjà réussie dans un bon tiers du territoire francophone.
Mais me direz vous, alors pourquoi nous encombrer avec un dossier sur cette question obsolète de l’usage du diagramme de Venn dans les classes. La cause est entendue. Pourquoi ces vestiges de la didactique balbutiante nous intéresseraient-ils ?
Parce qu’il n’est pas inutile de tirer les leçons de nos expériences et parce que les problèmes qui y sont discutés s’inscrivent dans une longue histoire qu’il pourrait être utile de connaître aujourd’hui.
Nous nous bornerons aujourd’hui à commenter un des aspects de ces textes.
Le goût des représentations iconiques n’est pas mort, et le formalisme a toujours son utilité. Qu’avons-nous appris à ce sujet de nos aventures des années 70 ? Il me semble que la chape de plomb qui s’est abattue sur la saga des mathématiques modernes est si lourde que personne ne se hasarde à la soulever. Aucun historien, aucun anthropologue, aucun sémiologue, aucun logicien, aucun mathématicien et a fortiori aucun didacticien ne s’y aventure. C’est pourtant au cœur de ce mouvement que la didactique des mathématiques a pris naissance. Alors n’ayons pas peur de faire face à nos erreurs s’il y en a eu. Commençons par des témoignages modestes mais attaquons nous au symbole lui-même : « les trois cercles de Venn ».
Pour ne pas se laisser distraire par l’importance du contexte il faut rester concentrés sur l’histoire d’un objet. Ce sera le « diagramme de Venn.
Mon histoire personnelle avec ce symbole connaît sept étapes :
Les étapes de l’usage des diagrammes de Venn
Première étape : l’héritage
Pendant la première étape, le diagramme de Venn vit une vie relativement modeste comme symbole le plus populaire des travaux de Venn. Mais il émerge au moment où se pose la question d’enseigner la logique aux jeunes élèves.
C’est l’état dont témoigne l’article de Lucienne Félix. Il est important de noter qu’il prouve qu’à cette époque (1970), on ne considérait pas le schéma comme le présente aujourd’hui Wikipédia (sous la forme d’un « tricercle » nu). Il est toujours contenu dans un ensemble, appelé parfois ‘univers’ ou ‘référentiel’, de sorte que les ensembles représentés sont des parties de cet ensemble. Ainsi on peut utiliser l’algèbre de Boole sans contradictions. De plus, les cercles sont remplaçables à tout moment par des régions du plan de forme assez variable (homéomorphes d’un cercle, disons avec Papy, des patates, les ensembles générés par les ensembles de base sont des réunions de patates (des sacs de patates ?) !! Tous ces diagrammes s’appellent « de Venn ». Plus tard il d’autres dispositions équivalentes issues de divers secteurs d’activités (électricité…) ont nourri les métalangages de ce métalangage de la logique. Déjà le tricercle n’est plus qu’un sigle répandu dans les périodiques populaires pour montrer une intersection et une réunion et un symbole de modernité.
Deuxième étape : la voie sémiologique et les propositions didactiques naïves
Ma première aventure avec le diagramme va consister à essayer d’expliquer aux professeurs qui viennent à l’IREM s’informer sur les nouvelles conceptions de l’enseignement des mathématiques, dans quelles circonstances ils peuvent s’en servir et avec quelles précautions prophylactiques.
En effet ce genre de figures joue son rôle si on les utilise sans les expliquer. Prévenir les difficultés qui peuvent apparaître au cours de l’usage de ce diagramme est bien plus long à expliquer qu’à comprendre.
Je pensais qu’on pouvait utiliser ces moyens iconiques, mais à la condition de n’avoir pas besoin de les formuler et de les expliquer. Je cherchais à obtenir cet effet par des leçons « non verbales », elles aussi bien plus compliquées à décrire et a fortiori à expliquer qu’à faire. Je l’avais fait dans mon ouvrage[1]. C’est pourquoi je reproduis dans ce dossier quelques documents qui montrent que j’ai cru à la possibilité de communiquer facilement cet artifice. Malgré ces avertissement l’usage des diagrammes est évoqué comme un procédé envisageable dans le document du dossier 8 : Désignation des parties d’un ensemble.
Troisième étape : les aides, les issues de secours
Le lecteur peut observer que je présentais déjà toute une liste de pièges possibles et de conseils pour les éviter. (voir dans ce dossier le document « logique fonctionnelle). La liste des conventions s’allonge et leur insuffisance est clairement signalée. Nous proposons alors de multiplier les représentations de formes et de types différents (arbres, tableaux,…) afin de suggérer l’idée de ce qu’elles ont en commun et d’effacer le plus possible l’influence de chacune de ces images particulières. Chacune de ces formes a des avantages et des défauts propres. Conséquence, la théorie de l’apprentissage par abstraction à partir d’exemples « concrets » particuliers devient suspecte (En fait le modèle des diagrammes est erroné).
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Quatrième étape : L’utilisation comme milieu dans des situations d’action
Il est important d’enseigner les opérations logiques comme des fonctions, pas comme des objets. Alors ne pourrait-on pas enseigner ces fonctions en les désignant par leur écriture formelle. Nous avons fait cette expérience au cours moyen (lire « P(E), les leçons » dans le dossier n°8). Conclusion : on peut ! Les enfants trouvaient amusant l’usage de ce langage qu’ils employaient et expliquaient avec une certaine aisance. Il ne s’agissait en aucun cas de fixer ces apprentissages (ce que nous appellerons plus tard institutionnaliser). Mais cette expérience ouvrait une voie que nous allions exploiter par la suite.
Cinquième étape : La critique ouverte, la cause est entendue
Il est indispensable de signaler aux professeurs pourquoi le diagramme ne peut pas être un objet d’enseignement pour la manipulation des parties d’un ensemble. La mise en correspondance naïve des propositions (ou des prédicats) avec des parties du plan ne peut qu’être intuitive et assez limitée ou impossible si on veut la justifier. Elle ne peut pas être une représentation au sens mathématique. Il vaut mieux abandonner la défense de ce moyen iconique, mais ce sont les bases méthodologiques et épistémologiques de l’enseignement des mathématiques qu’il aurait fallu incriminer. Ce sont les diffusions des mathématiques par trop confiantes dans la raison et le métier des professeurs. Les meilleurs auteurs n’avaient pas prévu l’acharnement des éditeurs à vouloir des textes ou tout devait être écrit, codifié, enseigné…
Sixième étape : La découverte de la récursivité métadidactique
Le phénomène qui consiste à faire d’un moyen d’enseignement, un objet d’enseignement est fréquent (dans l’enseignement). Il est parfois utile. Et quand il n’est pas utile, il n’est pas toujours négatif. Son défaut c’est d’être un « processus récursif ». Pour réparer l’échec d’un enseignement, on l’explique, puis on enseigne l’explication, si cette tentative échoue on explique son échec et on enseigne sa correction. Le phénomène se produit au niveau du professeur dans une classe, mais aussi au niveau beaucoup plus large de la société … et dans le cas qui nous intéresse : la modélisation de la logique nous en trouvons 6 niveaux de régression métadidactique :
La logique est représentée par une théorie des ensembles,
Laquelle est représentée par une théorie naïve des ensembles
Laquelle trouve une métaphore dans les diagrammes de type Venn
Lesquels nécessitent un métalangage spécifique (cercle ou patate, intérieur, lien,
Dont l’usage appelle des explications, des conventions propres
Sur lequel se greffent des représentations secondaires (flèches, boucles)
Lesquelles font l’objet de descriptions de métaphores…
Mais d’autres phénomènes observés relèvent eux aussi de cet effet :
Avec d’autres innovations graphiques, par exemple les flèches. Dans notre expérience sur les rationnels et les décimaux, nous avons pris de grandes précautions pour éviter ce phénomène, malgré un usage intense, jamais le professeur n’a commenté une mauvaise utilisation des graphes autrement qu’en les corrigeant sans commentaire.
Septième étape : La généralité du phénomène de glissements méta didactiques
L’étude des méthodes de résolution des problèmes, lorsqu’elle aboutit à développer un enseignement de l’heuristique, est un glissement métadidactique. Il en existe d’autres exemples. Les glissements sont des phénomènes robustes. La tentation est incoercible. Ses seules limites sont le temps disponible.
Le glissement métadidactique fait partie d’un éventail de réponses possibles aux « échecs » dont dispose la didactique pratique classique, qui sont toutes récursives, comme l’émiettement des objectifs ou l’effet Topaze. Combien d’années faudra-t-il pour rendre possible un débat sur les méfaits de la didactique ancienne ? (un dossier est en préparation sur ce thème
Conclusions
Le diagramme de Venn a effectivement servi d’emblème dans les médias des années 65-75 pour promouvoir une réforme d’une toute autre importance. Et évidemment, par conséquent, il a ensuite servi pour la discréditer.
Il est certain que des auteurs se sont précipités pour exploiter le courant, en se fondant, comme c’était l’habitude, sur des interprétations au premier degré, auxquelles les mathématiciens consentaient (devaient consentir) à cause de l’ignorance générale des conditions de la transposition didactique réelle.
Mais les réactions à ces abus ont été fortes dès que les IREM ont été créés. Elles ont été une motivation puissante pour faire avancer les réflexions qui allaient présider à l’émergence de la Didactique des Mathématiques.
[1] Guy Brousseau, Les mathématiques du cours préparatoire » DUNOD, 1965.